Grimhilde est piégée dans une dépendance absolue à l’égard de la validation de son miroir. Cela l’amène à vouloir éliminer Blanche-Neige, qui menace de lui enlever la source de son existence : le regard de son miroir magique. Sans tomber dans les extrêmes, comme dans le cas de cette femme méchante ou schizophrène, beaucoup sont incapables de faire face à cette situation qui les empêche de mûrir leur être.
Il faut comprendre que l’on est bien plus qu’un simple reflet et qu’on ne doit pas chercher l’approbation constante d’un autre pour exister. Il est nécessaire de préciser que la véritable menace ne vient pas de l’extérieur, mais de l’intérieur. De cet idéal qui s’est érigé dans notre développement psychique et que nous devrons apprendre à maîtriser pour conquérir une vie libre selon notre propre désir.
En art, les miroirs sont souvent utilisés comme instrument narcissique. Généralement, ils portent dans leur symbologie le narcissisme marqué d’un personnage ou reflètent son côté obscur. Grimhilde, la méchante sorcière de l’histoire de Blanche-Neige et les Sept Nains, lorsqu’elle parle au miroir, ne semble pas faire exception :
– « Esclave du miroir, sors des ténèbres ; « Qui est la plus belle du Royaume ?
– Oh, reine, tu étais sans doute la plus belle ! Maintenant Blanche-Neige, là parmi les arbres de la forêt, avec les sept nains, te surpasse mille fois.
Todorov, philosophe et linguiste, explique que tous les êtres humains ont un besoin impérieux des autres, qui se manifeste dans le besoin essentiel d’être regardé et reconnu par les autres. Bien que beaucoup puissent penser qu’il s’agit là d’une pure vanité, la vérité est que sa cause vient du fait que nous acquérons le sentiment de notre propre existence à travers le regard d’un Autre. Il s’agit là d’une nécessité constitutive de l’espèce et non d’une pure vanité. Mais ce qui est vrai, c’est que certaines personnes peuvent se retrouver piégées à vie dans ce jeu de validation constante du regard de l’autre.
La méchante sorcière de l’histoire des frères Grimm souffrait non seulement d’une obsession pour sa beauté, mais elle devait également faire face à une concurrente, Blanche-Neige, qui menaçait de lui voler son regard de son miroir. Grimhilde a besoin de la validation de son miroir pour se constituer dans son ensemble ; elle reste incomplète sans le regard et la parole affirmative de son miroir magique. Lorsque la jeune princesse détourne l’attention du miroir, l’image de la belle-mère explose et se brise comme du verre. Cette fragmentation menace son existence, car elle croit que l’image dans le miroir était bien elle, elle ne peut pas distinguer son vrai moi d’un simple reflet.
Ce besoin de regard est la marque de conformation subjective qui reste chez le sujet. J. Lacan, dans son texte sur la scène du miroir, explique cette péripétie structurelle du sujet, qui va de l’insuffisance de l’ infans à l’anticipation dans le miroir d’un moi encore en formation. À son tour, cette image miroir est soutenue par l’investissement libidinal de l’Autre qui l’assiste dans son regard.
Une scène de la vie quotidienne qui pourrait éclairer la situation est celle où un enfant âgé de 6 à 18 mois se regarde dans le miroir tenu par sa mère. Aussi, lorsque sa mère le regarde dans les yeux et que l’enfant réagit à ses gestes. Là, souligne le psychiatre français, sont en jeu le désir de la mère et sa manière d’aimer son enfant. Il est cohérent de mentionner que DW Winnicott dans sa théorie accorde un rôle essentiel à la fonction maternelle, puisque lorsque l’enfant regarde le visage de sa mère, il se voit lui-même.
À travers l’imago spéculaire, la réalité du sujet commence à s’établir, tant intérieurement qu’environnementalement. Le sujet prisonnier d’une illusion prend son image fragmentée du corps (l’enfant, avant de se voir dans le miroir, se perçoit sous la forme de membres disjoints), due à son impuissance motrice naturelle, à une forme orthopédique de sa totalité. C’est l’identité aliénante que lui prête sa mère.
L’enfant dépendant de l’allaitement et impuissant en motricité se précipite dans une forme primordiale, qui est l’image que lui renvoie le miroir. J. Lacan appelle cette forme le soi idéal, qui sera le tronc des identifications secondaires. Autrement dit, ce manque de coordination motrice est symboliquement anticipé dans l’image miroir, établissant l’idéal d’un moi. Dans un moi encore en formation.
Ainsi, l’image miroir devient un mirage vers la maturation de son pouvoir réel. De se percevoir comme un ensemble de membres désunis et non coordonnés, l’enfant, grâce au soutien de sa mère et à l’image du miroir, s’anticipe dans une Gestalt. L’image d’un tout constitué, quelque chose qui n’est pas encore.
L’unification d’un soi primordial (moi idéal) se produit, qui a en revanche la reconnaissance d’être précédé par l’image de l’autre. Ainsi, l’image reste à la croisée à la fois du pouvoir de fascination de croire en la complétude à travers le regard de l’autre, et de la menace de fragmentation si quelqu’un lui enlève ce regard.
À ce stade, l’agressivité est considérée comme constitutive de l’homme. Une agressivité originale, que J. Lacan illustre avec une idée de saint Augustin. Qui explique que l’enfant, avant même de parler, est absorbé par le spectacle de son frère tétant le sein de sa mère. Image d’une frustration primordiale, qui déclenche un regard empoisonné. C’est le même regard que Grimhilde porte sur Blanche-Neige, dont la beauté menace de détourner l’attention de son miroir magique.
L’infans expérimente ainsi la circulation du désir : être reconnu, être désiré et désirer le désir de l’Autre.
C’est-à-dire que la tension entre l’image qui lui est présentée et son insuffisance motrice instaure la rivalité avec l’image, la tension agressive avec son prochain.
En conséquence, un ego paranoïaque apparaît, qui manifeste une tendance à éliminer son rival miroir. De cette manière, le lien fraternel revêt des caractéristiques de : compétition, hostilité et désir de l’autre ne désir que de lui-même. Il s’agit de la tension agressive naturelle qui établit l’agressivité comme une partie structurelle de la psyché et définit le soi comme spéculatif, narcissique et paranoïaque, ce qui n’implique pas que le sujet le soit.
Le stade du miroir nous montre la constitution de soi à travers l’image, la sienne et celle des autres, dans une relation de miroir. La reconnaissance que fait l’enfant dans le miroir pointe l’extériorité radicale de l’image dans la configuration d’un moi. Qui est extéroceptif et où l’Autre fonctionne comme un miroir.
Selon Winnicott, une mère « assez bonne » regarde son enfant avec un regard de reconnaissance et d’amour. Il discerne sa singularité avec celle de l’enfant, l’acceptant comme tel et non comme une extension de lui-même. Pour que cela se produise, la mère ou l’adulte en charge de l’enfant doit avoir une personnalité moyennement saine, capable de renoncer à son propre narcissisme, afin de lui accorder du temps et un amour inconditionnel.
Il faut l’envisager avec un regard d’acceptation pour un développement sain du psychisme. Certains fans de l’histoire attribuent à la belle-mère une grave maladie mentale. Une patiente schizophrène qui souffre d’hallucinations parce qu’elle entend des voix dans son miroir et se sent menacée et persécutée par Blanche-Neige.
On comprend alors qu’il ne s’agit pas d’un retour direct, spéculaire, linéaire, mais plutôt d’une fonction exercée par l’Autre, qui nous assiste dans la construction de soi.
Cependant, ce lien fort doit céder. La mère doit commencer à produire des échecs progressifs et modérés dans son assistance, pour permettre à son fils d’abandonner le besoin constant d’aide, jusqu’à ce qu’il accède à l’indépendance.
Grimhilde, quant à elle, est prisonnière d’une dépendance absolue à la validation de son miroir, elle ne peut se passer de sa validation constante. Cela l’amène à vouloir éliminer Blanche-Neige, qui menace de lui enlever la source de son existence : le regard de son miroir magique, sans lequel elle ne peut se sentir une unité. Elle n’arrive pas à comprendre que ce reflet n’est pas elle, qu’en réalité elle est de l’autre côté de l’image miroir.
Ce personnage semble démontrer une pathologie sévère ; Cette tension peut cependant être investiguée chez le sujet névrotique, mais à un moindre degré. L’agressivité envers autrui et le besoin du regard de l’Autre se retrouvent également chez les sujets sains. Ce sont ceux qui peuvent faire face à la situation, qui comprennent qu’ils sont bien plus qu’un simple reflet et qu’ils n’ont pas besoin de l’approbation constante d’un autre. Ils comprennent que la véritable menace ne vient pas de l’extérieur mais de l’intérieur. De l’idéal qui s’est érigé dans leur développement et qu’ils devront apprendre à maîtriser pour conquérir une vie libre selon leur propre désir.